Installées devant l’espace du glacier, les trois sculptures dressent fièrement leur verticalité, comme plantées là depuis toujours. À première vue, elles semblent solides, presque inaltérables. Leur matière principale, du ciment calcaire, inspire la robustesse. Mais l'apparence est trompeuse. En leur cœur se nichent des matériaux fragiles et organiques : graines d’essences alpines, fibres de chanvre, nitrate de potassium, feuilles d’argent et minéraux sensibles. Une matière vivante, en tension, appelée à se transformer. « Ce qui m’a marqué ici, c’est le caractère minéral du lieu et son lien direct avec la roche. J’ai voulu créer des formes à la frontière entre le naturel et l’artificiel. Le système s’autodétruit, rien n’est figé » explique Clément Philippe le jour de l'inauguration. Natif d’Annecy, diplômé des Beaux-Arts de Montpellier, l'artiste plasticien a été sélectionné parmi une quarantaine de candidatures dans le cadre de la 6è résidence Artifex in Orto portée par le Jardin des Cimes et la galerie d'art La Crèmerie (Plateau d'Assy), et soutenue par le département de la Haute-Savoie, la ville de Passy et le réseau Altitudes. Pendant trois semaines, accompagné de sa compagne Marie Havel, elle aussi artiste, Clément Philippe a vécu et travaillé sur place, en immersion complète. « Je viens d’Annecy mais c'est la première fois que je travaille ici en Haute-Savoie. Je suis très content », confie-t-il, visiblement ému par le moment autant que par les échanges avec l’équipe du Jardin. Pour David Dal Cortivo, directeur du Jardin des Cimes, cette résidence est une réussite. « Clément ne s’est pas contenté de créer une œuvre, il a vraiment fait partie de notre quotidien pendant trois semaines. Ce lien tissé avec l’équipe, le lieu, les visiteurs... c’est exactement ce qu’on recherche dans les résidences Artifex in Orto. » Depuis tout petit, Clément Philippe aime les cailloux. Mais aussi les transformations lentes, l'énergie atomique et les failles systémiques. Le fil rouge de son travail ? Ce qui s’effondre, se dégrade, mute et change d’état. En un mot : l'entropie — cette loi naturelle qui fait que toute structure finit par se désorganiser. Influencé par le mythe de Prométhée et par les travaux de Gustav Metzger, Clément Philippe questionne les effets de l’industrialisation et les failles de nos systèmes. « Construire plus haut, plus grand, jusqu’à la déraison… jusqu’à ce que tout s’écroule », résume-t-il. Au Jardin des Cimes, ses œuvres évolueront lentement, au rythme du climat, de l’érosion, du vivant. Le ciment calcaire s’effritera. Les fibres de chanvre se déliteront. Et peut-être verrons-nous surgir quelques pousses. Efflorescences est une œuvre à voir… et à revoir. Car son visage, lui, ne cessera de changer.